- Il fait si froid Eclair Parsemé, nous devrions rentrer… Je suis fatiguée de marcher, mon ventre pèse, j’ai faim, et le froid engourdi mes membres…

La chatte qui avait formulé ces quelques phrases avait à peine la force de se mouvoir. Ses pattes se posaient avec lenteur et maladresse sur le sol recouvert d’un épais drap blanc. Ses flancs semblaient sur le point de rompre tellement la peau était tendue, et son ventre blanc se confondait presque avec la neige. La reine allait bientôt mettre bas, et ses futurs chatons semblaient être en train de lui voler ses dernières forces. Mais la chatte ne pouvait en vouloir à ses chatons d’avoir envie de survivre.
Devant elle, un chat roux marchait de façon plus soutenu. A chaque pas qu’il faisait, il la distançait de quelques mètres. Bientôt il ne se rendrait même plus compte que la chatte aurait abandonné son parcours, bien derrière lui. Néanmoins, chacun de ses muscles étaient secs, manquant de nutriments pour leurs donner force et vigueur. En effet, la nourriture était cruellement absente dans le camp des deux chats depuis que la Saison des Neiges s’était abattue sur la forêt.

- Arrête de te plaindre, nous n’avons pas le choix. Le tas de gibier est vide depuis deux semaines, il faut l’aide de tous les guerriers pour essayer de ne trouver rien que la plus petite proie. Ne veux-tu pas que des foutus chatons aient de quoi se nourrir quand ils naîtront ?

La chatte blanche montra les crocs à la provocation d’Eclair Parsemé. Elle n’acceptait pas qu’un chat dans son genre se permette d’insulter ses petits, qu’ils soient déjà nés ou pas. La haine qu’elle éprouvait déjà pour le guerrier ne cessait d’être alimentée par celui-ci.

- Vu ton peu de compassion pour une reine sur le point de mettre bas, elle sera morte ainsi que ses petits avant que tu es trouvé la moindre chose à te mettre sous la dent.

Le rouquin n’avait que faire des remarques de la petite reine. Il continuait son chemin sans se soucier d’elle. Elle n’était qu’un boulet qu’on avait fermement verrouillé à sa patte et qu’il ne pouvait enlever. Il aurait préféré partir seul, mais les groupes de chasse devaient comporter minimum deux guerriers, et le lieutenant du Clan avait décrété que tous chats, guerriers, reines, apprentis ou anciens capables de se déplacer devaient participer à ces recherches intensives de nourriture. Cependant l’état de la reine immaculée s’était dégradé. Cela faisait maintenant plus de deux heures qu’ils erraient, à l’affut du plus petit signe de vie d’un rongeur ou d’un oiseau. La pauvre chatte était épuisée, et un vent glacial s’était levé.

- Tu n’es pas digne d’un guerrier du Clan du Vent, mais plutôt d’un du Clan des Ténèbres ! Que diras-tu as ton chef lorsqu’il apprendra que la reine qui portait ses chatons à perdue la vie par ta faute ?! Parce que tu n’es pas capable te t’occuper un tant soit peu de tes compagnons ?!

Elle espérait que ces paroles veines fassent réfléchir le matou roux, et qu’il déciderait de rebrousser chemin. Mais celui-ci en avait décidé autrement, et les pleurs d’une faible ne lui ferait pas changé d’avis.

- Ma pauvre Douce Harmonie, notre chef comprendra facilement que le froid aura pu t’emmener, nous perdons tellement de chats à chaque fois que la Saison des Neiges arrive.

Le sang de Douce Harmonie se figea dans ses veines. Elle n’arrivait pas à se remettre de ce qu’elle avait entendu. Quel être infâme.
Soudainement, les pattes de la chatte se dérobèrent sous elle, et elle tomba sur le flanc, dans la neige. Son ventre était pris de contractions, plus fortes les unes que les autres. On pouvait lire la panique sur son doux visage. Ses yeux passaient de son ventre à Eclair Parsemé et lui criaient de l’aider. Le guerrier se sentait tout d’un coup concerné par ce qu’il se passait sous son museau. Il s’approcha d’un bon de la reine et essaya de la tira sous un arbre, où la neige n’avait pas réussi à recouvrir le sol. Une trainée pourpre salit la neige jusque-là immaculée.

- Je t’en prie Douce Harmonie, calme toi, tout va bien se passer. N’aie pas peur, je suis là, je vais faire mon possible pour t’aider.

La frayeur noua la gorge d’Eclair Parsemé. Il ne connaissait rien qui puisse aider la chatte, il n’avait jamais assisté à une naissance, il ne savait comment se comporter. Cependant, il était un chat de Clan, et sans y réfléchir, il chercha une solution à ce qui se passait.
Douce Harmonie ne tenta même pas de se calmer, elle ne ressentait que la peur et la douleur qui irradiaient tout son frêle corps. Cette douleur semblait lui arracher son âme comme si quelqu’un tirait les ficelles de son esprit pour l’ôter de son corps déjà affaibli. Elle aurait voulu crier, comme jamais cela ne lui était arrivé, mais son instinct lui dicta une autre façon de faire. Elle se concentra avec peine sur ses flancs, bloqua sa respiration et essaya de mettre toutes ses forces au service de la naissance d’un de ses chatons. Elle répéta cela deux ou trois fois avant qu’un minuscule chaton réussisse à sortir complément. Ce fût dans un premier temps comme une délivrance pour Douce Harmonie. Mais ce petit moment de sérénité fût de courte durée. Le chaton était immobile, il ne bougeait pas, ne respirait pas. La chatte le lécha, lui donna de petits coups de tête pour le réveiller, mais rien ne fonctionnait. Eclair Parsemé regardait la scène, impuissant.

- Mon bébé, mon bébé…, répétait la reine. Tu dois vivre. Je veux que tu vives, pour moi, pour tes frères et sœurs qui n’auront pas eu la même chance que toi, pour ton père, mais surtout pour toi. Deviens fort, deviens fier. Ne te laisse jamais, au grand jamais, dicter ta conduite par quelqu’un d’autre que toi. Je ne veux pas que tu deviennes comme moi, à faire ce qu’on te dit de faire, sans réfléchir par toi-même. Suis ta voie, ton chemin, bats-toi, que tu gagnes ou que tu perdes, gardes la tête haute, et ne méprises pas tes ennemis. Mais défends-toi contre ceux qui ne te respectent pas. Leur haine est toujours le fruit de leur jalousie.
Et n’oublie jamais que quand tu auras besoin de quelqu’un, je serais toujours là, dans ton cœur. Un seul mot et je serais près de toi, à jamais.
Mais pour cela, il faut que tu vives. Je sais que ce n’est pas facile, et qu’à peine venu dans ce monde affreux, tu es obligé de te battre…


Si un chat était capable de pleurer, des larmes couleraient à flots à cette heure-là. Douce Harmonie savait que sa fin arrivait, et que les petits qu’elle n’avait pas été capable de mettre au monde disparaitraient avec elle. Mais elle voulait que ce petit chaton, qui avait eu la force de venir au monde, vive.
Elle fit une prière muette au Clan des Etoiles, posa son doux regard sur son chaton, avec espoir. Elle l’approcha plus près d’elle, voulant le réchauffer dans son pelage épais. Mais hélas, Douce Harmonie prenait conscience que ce moment allait bientôt prendre fin. Elle s’approcha de son bébé, le lécha tendrement, puis lui murmura trois mots, à peine compréhensible: « vivre », « aimer » et « se battre ». Elle voulait que ces mots restent pour toujours ancrés dans la mémoire de son chaton. Elle posa alors doucement sa tête sur le sol ferme, les yeux clos. Sa respiration se fit plus calme, son esprit s’allégea. Elle sentait ses forces s’évanouir autour d’elle. Son cœur battait doucement, de plus en plus lentement. Douce Harmonie cessa son combat contre la mort, et dans un dernier moment de sérénité, son cœur se tut pour l’éternité. Son âme s’éleva lentement entre les hautes cimes des arbres, sans un dernier regard pour son petit, et rejoint alors le Clan des Etoiles…

Faiblement, un cœur battait. Chaque veine, chaque organe, était alimenté par le liquide vital. La vie affluait doucement dans le corps de ce petit être. Il n’avait certes toujours pas la force d’effectuer un seul mouvement ou de miauler, mais il était là, en vie.

Eclair Parsemé était tétanisé par ce qu’il venait de voir. Douce Harmonie avait perdu la vie, devant lui. Pas que celui-ci n’avait jamais vu de chat mourir devant ses yeux, mais il n’avait jamais affronté la mort d’une reine. Son courage, sa douceur, sa vitalité dans ses derniers instants, son impuissance devant son chaton, mort, sans pour autant perdre espoir, ce spectacle était violent. La plus dure mais la plus belle mort qu’il n’avait jamais vu. Aucun guerrier de Clan ne mourrait dans la plus grande quiétude, mais aussi dans le plus grand désemparement.
Le guerrier ne pouvait transporter le corps de la reine jusqu’au camp. Il se résolue donc de la laisser là, mais aménagea son tombeau de quelques brindilles et feuilles qu’il trouva dans la neige. Il voulait que son chef puisse faire son deuil, adresse un dernier au revoir à la reine qu’il aimait. Il plaça aussi le chaton entre les pattes avant de Douce Harmonie. Il était d’un beige clair, sans tâches. Il ne ressemblait ni à sa mère, ni à son père qui était un chat tigré. Cependant il possédait une petite tache blanche à bout de la queue, la même que ce dernier.

Ce fût la dernière fois que l’on vit ce petit chaton.
Lorsqu’Etoile Pâle vint voir la reine, la boule de poils avait disparu. Eclair Parsemé pensait qu’un prédateur avait dû emporter le corps, ce qui semblait tout à fait plausible, et le chef et le reste du Clan lui donnèrent raison. Après tout comment douter d’une hypothèse alors que personne n’a la moindre idée de ce qu’il a bien pu se passer cette nuit-là. Et ce secret, tout le monde était bien content qu’il soit emporté dans la tombe… A moins que…