Reflet d'Etoile renifla l'entrée de la Tannière du Guérisseur. Même lors de la prise de possession du Camp, il n'y avait pas pénétré, se contentant de jeter un oeil par l'ouverture du bâtiment lui-même: un nid Bipède assez commun, sans danger particulièrement remarquable. En fait, Euphorie du Homard vivait dans une cavité située en-dessous.
Le matou tigré n'était pas particulièrement délicat mais il trouvait tout de même cet emplacement un peu sinistre. Ici, ils avaient l'habitude de cotôyer journellement les Bipèdes ; mais dormir sous leur nid, c'était une autre histoire.

Se glissant dans l'ouverture, il découvrit un grand espace pierreux et légèrement humide, dans lequel il régnait une température ambiante agréable au regard de ce qu'ils subissaient dehors. La lumière filtrait de manière très douce, on y voyait à peine, même avec des yeux de félin. Il descendit lentement la pente qui menait au sol. L'odeur du Guérisseur était partout, mais du matou lui-même, point.
Reflet d'Etoile finit néanmoins par repérer un tas de fourrure grise enroulée sur elle-même qui enflait lentement au rythme d'une respiration légèrement sifflante. 

- Heuphorie du Homard... dit-il doucement. Réveille-toi.

Reflet d'Etoile eut un soupir imperceptible devant le spectacle de son Guérisseur à moitié endormi. Ah, il était beau, le Clan des Ténèbres. Un ramassis de dépressifs et de sanguinaires. Les seuls à avoir un peu de feu ne semblaient vivre que pour le défier. Rien que quelques jours auparavant, Nuit Hivernale, un nouveau débarqué, avant fait preuve d'une insolence particulière. Rien de fâcheux, mais il faudrait qu'il le tienne à l'oeil. La sédition était le premier mal à ronger les Ténèbres.
Rat crevé, jura-t-il intérieurement. Depuis qu'il était Meneur, il lui semblait voir toutes les failles et tous les détails gênant de la vie quotidienne. Alors qu'autrefois, il n'avait qu'à se laisser porter par sa loyauté et ses rêveries, ses journées se résumaient maintenant à réfléchir, turbiner, comploter, insérer mentalement des pièces qui n'étaient pas faites pour s'emboîter.

- Debout, dit-il assez rudement. Nous allons au Puit de Lune.

D'un coup de queue, il fouetta l'une des pattes d'Euphorie du Homard, espérant que l'incongruité de son ordre suffirait à éveiller la lucidité de son Guérisseur.

Reflet d'Etoile sentit un brusque accès de deja-vu en assistant à la myriade d'expressions qui se succédèrent en quelques instants sur le museau de son Guérisseur. Il connaissait bien ce symptôme, celui d'une personnalité instable et malmenée. Il se souvint alors qu'Euphorie du Homard était l'un des fils de feu Etoile Déchue. Après tout, songea-t-il, les chiens ne font pas des chats.
Décidé néanmoins à traiter avec justice toute personne sous ses ordres, il lui repondit calmement :

- Nous avons peu de temps, en effet, car il faudra y être avant le lever de la lune, et je crois que le chemin est encore plus ardu à arpenter qu'à trouver. Mais je peux bien t'expliquer. J'éprouve une certaine curiosité envers ces entités. Ne pas reconnaître leur autorité ne revient pas à nier leur existence. Je voudrais m'entretenir avec eux. Mais, comme ce sont des esprits, je préfère être prudent. Tu es Guérisseur, tu sauras certainement les apaiser un peu. Et puis, tu as dû discuter avec tes collègues lors des Assemblées. Probablement en sais-tu plus que moi sur la marche à suivre ?

Il rejoignit son Guérisseur à l'entrée de la cabane, mais ne pût se retenir d'ajouter sur un ton confidentiel :

- Bien entendu, tout cela doit rester secret.

Reflet d'Etoile sentait l'angoisse de son Guérisseur, mais décida de passer outre. On pouvait s'attendre à ce que le fils d'une folle ait quelques craintes à se frotter à des être surnaturels. Il n'avait pas à en tirer de conclusions hâtives. Lui-même se sentait plutôt excité. Depuis des lunes et des lunes qu'il était en vie, il avait souvent rêvé de trouver quelque-chose qui le sorte de cette enclave qu'était le Clan des Ténèbres, surtout pour lui, chaton solitaire et discret. Il avait voué sa vie au Clan, mais gardait, tout au fond de lui, une âme assez exaltée. Les fréquents cauchemars qui agitaient ses nuits en étaient de bons exemples. Si les Etoiles existaient réellement, il avait bien l'intention d'assouvir à leur sources toutes les angoisses qu'il refoulait depuis son enfance.

Ils avaient déjà traversé la Ville Blanche lors de l'exploration groupée, mais ils étaient alors en force et n'avaient pas grand'chose à craindre. Reflet d'Etoile n'avait pas peur, sauf peut-être de devoir assumer les névroses de son Guérisseur. Il espérait que celui-ci résisterait au choc de la Ville. De manière général, le meneur n'avait pas trop confiance en ses troupes. Il les appréciait, connaissait leur valeur, mais avait vécu au milieu d'eux et avait pu observer de près la déliquescence qui guette de près ou de loin tout représentant des Ténèbres.

Euphorie du Homard non plus ne devait pas se sentir en sécurité avec lui, car il insista pour connaître le véritable but de ce qu'il appela une "mission".
- Il n'y en a pas, ré-expliqua patiemment Reflet d'Etoile. Je suis meneur des Ténèbres, nous sommes seuls des cinq Clans à être écartés du monde des morts, alors même que nous prenons leurs noms lors de notre nomination. Je n'ai pas l'intention de convertir les Ténèbres, mais à titre personnel, j'ai bien l'intention de me frotter à eux. Je me sentirai plus complet après. Et je préfère que tu sois avec moi. Voilà tout ce qu'il y a à dire.