Etoile Mélancolique prit une profonde inspiration. L'air froid des montagnes se glissa dans ses poumons comme l'eau glacée se faufile à travers les fissures. Il ferma les yeux. C'était un vieil entrainement que Langue de Bois, son père, lui avait appris. Il fit abstraction de l'obscurité sous ses paupières et tendit l'oreille.
"Apprends à voir avec le cœur." Souffla dans sa mémoire la voix du vieux chat brun.
Etoile Mélancolique ralentit son souffle, attendit que les battements de son cœur lui soient assez familiers pour qu'il n'y prête plus attention, et ce fut seulement alors qu'il vit.
Petit à petit des images sortirent des ténèbres. ce fut d'abord les épines des sapins qu'il devina s'agiter dans la brise, il les imagina d'un vert profond, comme le vert des yeux d'un chat ou de ces pierres émeraudes qu'il avait aperçut il y a longtemps, dans une autre vie. Puis il y eut les pic-verts, perchés sur les troncs bruns et noueux, leurs becs battant le bois d'un rythme irrégulier. Le félin sentit l'odeur de la sève fraîche sous les morceaux d'écorce arrachés par les volatiles. Il sentit l'herbe sous ses pattes, haute et d'un vert plus doux que celui des arbres. Une odeur lui fit frissonner la truffe, celle de la terre mouillée par l'eau d'un ruisseau. Il s'agissait de l'un des petits courants d'eau qui s'étaient formés avec le début de la fonte du glacier, il ne l'avait encore jamais vu de près, mais il n'était pas difficile de deviner l'immense étendue de glace blanche qui s'illuminait chaque jour à la même heure lorsque le soleil lui faisait face.
Un craquement tira le félin de sa contemplation. Il tourna la tête. Le bruit avait semblé très fort, mais n'était pas dut à une grosse bête. C'était un mulot qui avait marché sur un brin d'herbe sec. Il arrivait, lorsqu'il se plongeait dans cet état, que les bruits proches, aussi légers soient-ils, raisonnent comme la foudre.
Le matou brun dressa l'oreille, un mulot ? Il était là pour ça.
Laissant derrière lui le demi-songe, il s'aplatit contre le sol en position de chasse et s'élança à la poursuite du rongeur, se faufilant à travers les montagnes, celles dont il avait rêvé toute sa vie, sans jamais craindre de se perdre.