Cœur Délavé rêvait, ou plutôt, cauchemardait. "Mauvaise mère !" Les hurlements la poursuivaient, elle courait, terrifiée, cherchant quelque chose... Quelque chose de très important. Mais quoi ? Elle ne parvenait pas à se souvenir. Haletante, fuyant sous les miaulement accusateurs, la jeune féline était terrifiée. Le brouillard envahit la scène, et elle finit par suffoquer, avec l'impression de se noyer. Enfin, Curly se réveilla un sursaut, les yeux écarquillés et le cœur battant à tout rompre. Mais déjà, les dernière tracs de son rêve s'estompaient.

Elle se leva, frissonnant encore sans savoir pourquoi, et sortit de la tanière de Guerriers. Le soleil était en train de se lever, et l'aurore dessinait de fantasques arabesques sur le sol. La tigrée s'avança vers le Tas de gibier, dévora une souris, puis sauta sur ses pattes, pleine d'énergie. Le froid régnant encore ne la dérangeait pas, elle avait envie de courir. Elle trottina en dehors du Camp, puis se dirigea rapidement vers le Lac. Elle aimait cet endroit depuis l'instant où elle l'avait aperçu, avec ses eaux calmes, mais glaciales, et ses rives superbes.

Le Lac était superbe en ce début de matinée. Ses flots paisibles reflétaient l'aurore naissante, encore rouge et dorée, et une partie de la forêt. Le doux brun des branches dénudées se mêlait parfaitement aux couleurs éclatantes de l'aurore, et la lumière que renvoyait le Lac éblouit un instant Cœur Délavé. Souriante, la jeune chatte se rapprocha du bord, prenant garde à ne pas tomber. En cette saison, la moindre chute lui serait fatale.

Pensive, Curly s'assit et observa les profondeurs. Quelques poissons s'agitaient mollement, et elle ne tenta pas de les attraper, de peur de les rejoindre au fond de l'eau. Un flash lui traversa l'esprit, la faisant se raidir violemment. Un matou gris de cendre, qui se noyait, lui hurlant de ne pas sauter. La Guerrière secoua la tête, les yeux écarquillés. Elle savait qui était ce chat, elle... Brusquement, elle repoussa tout souvenir au plus profond d'elle même, s'empêchant de penser à ce qu'elle venait de voir.

Se relevant, Cœur Délavé se dirigea vers un arbre près du Lac. Là, elle le regarda, les yeux pétillants et finit par bondir pour s'agripper au tronc, et enfin monter souplement jusqu'aux premières branches. Essoufflée, elle se rendit compte qu'elle manquait d'habitude, et songea qu'il fallait qu'elle s’entraîne plus. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas grimpé aux arbres. Enfin, Curly posa ses yeux sur l'horizon. Le Lac paraissait sans fin, et elle ne put s'empêcher soupirer d'admiration.

Cœur Délavé observait avec attention les environs, lorsqu'elle aperçut une petite forme sortir des buissons pour bondir à ses côtés. Elle eut un petit sourire en reconnaissant Poussière d’Étoile. Une jeune Guerrière du Clan. Il était vrai qu'elles n'étaient pas très proches – il lui semblait que Poussy avait une sœur, Pelage de Lune, mais aussi un frère, et une autre sœur...Quand aux noms... Curly soupira mentalement, elle n'avait aucune mémoire !

- « Bonjour Cœur Délavé ! Je suis désolé, je t'ai suivie ! »

La Guerrière tigrée sourit doucement, amusée. Comme si elle allait lui hurler dessus. Non, elle avait toujours été plutôt sociable, même avant que... Elle repoussa cette pensée, et répondit avec un air avenant :

- Bonjour Poussière d’Étoile ! Non, ne t'en fait pas, ça ne me dérange pas.

C'était vrai. Elle appréciait la compagnie des autres, encore plus lorsque, inconsciemment, elle sentait que des souvenirs lui revenaient. Elle posa son regard sur le Lac, sur la Forêt encore endormie. Tout était calme, beau. La saison des feuilles mortes rendait parfois le paysage encore plus beau. Ses yeux se mirent soudain à briller, lorsqu'elle songea à la beauté de la neige. Curly avait toujours aimé cette saison, les reflets du soleil sur la Rivière gelée et enneigée. Il était vrai que c'était une période difficile pour les Clans, mais la beauté que la neige dégageait l'éblouissait.

Avec un sourire, elle se tourna vers la plus jeune, et lui proposa :

- Veux-tu monter plus haut ?

Sans réellement attendre de réponse, elle prit son élan, et bondit souplement sur les branches les plus proches. Les yeux brillants, le souffle court, Cœur Délavé avait l'impression d'atteindre les cieux. Quelques instants plus tard, parvenue presque au sommet de l'arbre, elle s'arrêta, attendant l'autre féline. Elle regarda en bas, la respiration un instant coupée par tant de grandeur, et laissa échapper un rire extatique : le Monde lui appartenait.