Rêve de Chouette pesta intérieurement en sautant au-dessus d’une branche morte, l’oreille aux aguets. Le soleil devait presque être à son zénith et ce n’était vraiment pas le bon moment pour chasser, la chaleur ayant fait rentrer toutes les proies dans leurs terriers. Le jeune guerrier les aurait d’ailleurs bien imitées si Croc de Glace n’avait pas grogné toute la matinée que les proies se gâtaient vite au soleil et qu’il aurait préféré qu’on lui apporte directement son repas après la chasse. Ce que son père pouvait être exaspérant depuis qu’il avait rejoint la tanière des anciens ! Mais autant lui donner ce qu’il voulait si ça permettait au clan de regagner un peu de tranquillité.

Le chasseur poursuivit donc son chemin parmi les hautes herbes près de la frontière avec le Clan de l’Ombre lorsqu’il capta soudain l’odeur d’un lapin. Il se tapit dans la position du chasseur et se mit à ramper vers sa proie, attentif à rester sous le vent. Faisant à peine onduler les herbes sèches sur son passage malgré sa taille massive, il avança encore de quelques pas avant de se retrouver brutalement au bord d’un torrent. Rêve de Chouette se redressa aussitôt et sentit un frisson de peur lui parcourir l’échine. L’eau tourbillonnait devant lui, bien plus rapidement que celle du torrent traversant le camp, menaçant de happer quiconque oserait y pénétrer.

Le jeune guerrier sentit les battements de son cœur s’accélérer en même temps que la panique montait en lui, menaçant de l’engloutir. Non, non ! Recule ! Fuit ! Fuit avant d’être submergé ! criait une petite voix dans son esprit, petite voix qui finit par prendre toute la place. Rêve de Chouette fit un pas en arrière, puis un autre, la tête remplie de réminiscences du passé, de souvenirs traumatisants. La vague immense, terrifiante qui avait noyé tant de chats repassa devant ses yeux, le faisant trembler de tous ses membres. Un instant, il se crut à nouveau noyé, cherchant de l’air, luttant pour respirer, avant que la vision s’estompe légèrement en le laissant pantelant.

Non, ce n’est pas réel, c’est du passé ! s’efforça de se raisonner le jeune guerrier en secouant la tête, essayant du même coup de chasser ses souvenirs. Ce n’est qu’un torrent, un stupide torrent que je pourrais franchir en un bond. Il n’y a pas de danger, pas de danger…

Répetant les mêmes phrases encore et encore, Rêve de Chouette parvint à faire refluer la panique et petit à petit les battements de son cœur s’apaisèrent. Pourtant le guerrier resta immobile, encore sous le choc. Il n’arrivait pas à croire qu’il avait eu une réaction aussi violente face à un cours d’eau aussi petit ! De telles crises lui étaient déjà arrivées pendant le voyage, mais c’était face à des rivières bien plus importantes et même si le courant du ruisseau était rapide, il n’y avait aucun danger pour un chat adulte comme lui. Mais malgré cette certitude, Rêve de Chouette ne parvenait pas à se détendre complètement. 

Jetant un coup d’œil de l’autre côté du ruisseau, le chasseur réalisa avec stupéfaction que son lapin était toujours là et qu’il ne semblait même pas l’avoir remarqué. Lui qui pensait que sa peur aurait été palpable à des kilomètres ! Inspirant à fond pour se calmer, il décida d’aller chercher ce fichu animal et de le ramener au camp. Après tout, il ne trouverait sans doute pas d’autres proies aussi alléchantes aujourd’hui.

Il se sentait las, épuisé plus qu’il n’aurait cru possible pourtant Rêve de Chouette se prépara à bondir, sans prêter attention à la boule de peur irrationnelle encore nichée au creux de son ventre. Sa nervosité le fit pousser plus que nécessaire sur ses pattes, et il se retrouva en un instant à plus d’une longueur de queue de la rive, de l’autre côté, presque nez à nez avec son lapin. Sans perdre une seconde, il lui sauta dessus pour l’achever avant de s’autoriser enfin à s’asseoir et se détendre. Finalement, ça n’avait pas été si difficile que ça ! se dit le jeune guerrier avec satisfaction.

Le retour fut plus facile, et Rêve de Chouette se réceptionna en douceur avec son lapin sur la rive humide. L’odeur de sa peur trainait encore dans l’air, et le guerrier se sentit tout honteux de son accès de faiblesse. C’était indigne d’un guerrier. Et même s’il avait réussi à le surmonter et avait traversé le ruisseau, c’était une victoire bien maigre, vraiment ridicule en fait, face à un si petit torrent.

La tête basse, le chat crème traina son gibier jusqu’au camp, essayant de l’abimer le moins possible. Il ne manquerait plus que Croc de Glace lui fasse des réflexions ! Il franchit le gué sans se mouiller les pattes, apporta la proie à l’ancien dans sa tanière, récoltant au passage un vague remerciement et se promit que la prochaine fois, il n’aurait pas peur. Il ne paniquerait pas, et il agirait comme un authentique guerrier. Il le jurait par le Clan des Etoiles.