Un jour mon prince viendra...

Nostalgie

Nostalgie longeait les murs hauts et immaculés de la cité blanche, perdu dans ses pensées. Au pied des fortifications de pierre, il semblait inconcevable que de l'autre côté se trouve une forêt. Pas la moindre fente dans la surface uniforme ne laissait passer le plus petit éclat de vert, pas un seul brin d'herbe ne marquait la frontière, le ciel même semblait s'arrêter à cette limite. De l'autre côté était la fin du monde humain, de l'autre côté, Nostalgie avait vécu.

Enfin pas vraiment, certes, ce n'était pas la même forêt qui s'étendait dehors, mais cela ne changeait rien. Lorsque vous êtes nés, avez vécu et faillit mourir dans la forêt, elle vous possède à jamais.

Nostalgie n'y avait plus repensé depuis ce matin-là, jusqu'ici, il avait vécu sans trop souffrir loin des arbres, des tapis de fougères et des milles odeurs aux pieds des buissons. Il ne s'était souvenu de cet endroit qu'à travers les mauvais souvenirs. La guerre, le rejet, la mort... Rien à regretter. Il s'en était contenté et avait oubliées toutes les merveilles. Nuage de Vérité prenant le soleil, l'odeur du gibier dans un fourré, le frisson de la chasse, le plaisir des pluies en été et tant d'autres choses. Nostalgie frissonna lorsque vint l'image d'une vaste voûte étoilée dans ses souvenirs.

Pourquoi repensait-il à tout cela ? Cela semblait si vieux désormais. Peut-être était-ce parce que désormais, il savait qu'il avait laissé des chatons dans la forêt. Ses plus beaux trésors. Il sourit en y pensant. Petite Comète et Petit Espoir étaient des créatures merveilleuses.

Il bondit sur une palissade. S'y installa sans trop de façon. Ce n'était pas très confortable, mais la vue était moins oppressante. Il tendit le museau vers l'horizon. Le mur blanc laissait paraître la cime des arbres désormais. Il songea qu'il se trouvait face à un mirage, une image de forêt, de nature et de liberté qui si on l'a poursuivait trop finissait par être bloquée par le mur des réalités. Soudain, la ville blanche lui sembla la plus terrible des prisons.

Il pencha la tête et commença à faire sa toilette pour chasser ses idées sombres. Les flancs en premier, un peu de roux le changerait. Il lécha avec application son pelage doux tout en évitant le blanc de ses pattes, de son ventre et de son poitrail, son collier bleu produisant de léger cliquetis à chacun de ses coups de langue. Il s'attarda un instant à plaquer son pelage sur une longue cicatrice au bas de son dos, dernier fragment de vie sauvage. Ses grands yeux dorés mi-clos, il laissa le soleil le réchauffer comme s'il n'en avait rien à faire et, le temps d'une seconde, il parvint à s'imaginer accomplir la même toilette au plein coeur de la forêt.

Un jour mon prince viendra...

Intrusion

Nostalgie tourna vivement la tête, l'une de ses pattes maintenue en l'air, comme prise sur le fait. Il remarqua enfin la chatte perchée sur l'une de ces plate-formes étranges que Céleste appelait "chaise". Le matou laissa ses muscles se détendre, il n'y avait pas de danger. Ce n'était qu'une jeune domestique au pelage clair. Elle lui semblait assez... il ne savait le mot exact. Hautaine était celui qui lui manquait. Le rouquin connaissait assez peu les chats du voisinage. Il n'avait jusque là rencontré que Beauté et Céleste. La première étant une ancienne Guerrière de l'Ombre et la seconde une sorte de mâle-manquée, il n'avait pas encore eut le privilège de se trouver face à une domestique n'ayant jamais eut d'autre activité que paresser au soleil.

— Excusez-moi, dit-il sentant la chatte agacée par son intrusion. Je ne savait pas que ce territoire était occupé. Je ne me serais jamais permis sinon.

Il aurait bien aimé descendre dans le jardin. La palissade était de moins en moins confortable et il n'aimait pas trop discuter avec quelqu'un dont il était si loin. Il aurait préféré se trouver d'égal à égal avec Isis ou bien se percher dans un arbuste de son jardin. Bref, n'importe quel endroit où les manœuvres de fuites ou de combat auraient été plus faciles. Toutefois, il sentait qu'il n'en avait pas le droit. C'était une règle chez les Domestiques, on n'entre pas dans un jardin occupé si on n'y a pas été invité. Pire que le code du Guerrier.

Il resta donc à sa place, mais se tourna vers la chatte dans une position qui lui aurait permis de sauter sans problème dans le carré d'herbe verte s'il en ressentait le besoin.

— Aujourd'hui, je me nomme Nostalgie, dit-il. Je viens d'une maison blanche à quelques rues d'ici. J'y vis avec une Domestique nommée Céleste.

Il agita une oreille, c'était idiot ce qu'il venait de dire, toutes les maisons étaient blanches et tous les Domestiques ne se connaissaient pas. Il devait ressembler à un imbécile aux yeux de la chatte.

Un jour mon prince viendra...

C'est juste pour parler

D'un bond souple, Nostalgie sauta à bas de la clôture. Ses pattes blanches s'enfoncèrent avec délice dans la pelouse tendre et bien coupée. C'était autrement plus confortable qu'une rugueuse palissade. Son arrière train retombait à peine qu'il avançait déjà jusqu'à la chatte. Silencieux comme un souffle de vent sur un lac. Il y avait de quoi impressionner nombre de Domestiques lourdingues.

Il s'arrêta à une foulée de renard de la chatte claire et s'assit. Signe qu'il n'avait pas d'intensions agressives. Il songea brièvement qu'il aurait aimé rencontrer un mâle pour une fois. Il avait l'impression d'être bien seul dans une marée féminine. Ce qui n'avais pas que des désavantages en soi.

— J'imagine que cela ne fait pas plus longtemps que toi, répondit-il enfin. J'ai cru comprendre que les Domestiques de cette ville étaient tous arrivés plus ou moins la même lune. Je ne sais pas trop quand on m'a emmené ici, mais vu que Céleste n'y étais que depuis quelques jours je pense que nous sommes arrivés à peu près en même temps.

Il se reprocha une fois encore de dire des idioties. La chatte n'en avait absolument rien à faire. Elle lui avait juste proposé de lancer une conversation, pas de débattre sur les activités Bipèdes. Nostalgie n'était pas assez bête pour ignorer qu'elle voulait simplement parler... et plus si affinité. Il essaya tant bien que mal de rattraper le coup :

— J'ai été incapable de bouger pendant quelques temps. A cause d'un accident. Je ne sors que depuis une semaine environ. C'est sans doute pour ça qu'on ne s'est pas encore rencontré.