Notre mère nous parlait souvent de cette Légende. Celle des Colonies, composées de chats que notre père lui racontait sans cesse. Depuis notre plus tendre enfance, ma mère nous la répétait, à moi et à ma sœur. Cette légende prenait dans sa parole une allure si réelle que s'en était effrayant. Les combats dont elle nous parlait résonnant dans nos oreilles nous tenait encore plus attentif de son discours. Les aventures de ces chats imaginaires remplissaient la vie de ma mère, elle n'avait plus que ces histoires en tête et cela m'en désolait. Chaque jour, depuis ma naissance, Runith ressassait, encore et encore, la force, la bonté et le courage de ces étrangers qui lui étaient comme des frères. Il semblait qu'en nous en parlant, elle pouvait traverser la porte invisible qui la séparait de ce monde qu'elle aimait tellement.
C'est ainsi qu'elle nous appris les Lois Sacrées, les codes d'honneur du chat le plus loyal qui puisse être. Je gagna donc la politesse et les respects des chats de Légende et j'appris que j'avais reçu mon "nom de guerrier" à la naissance. Je me nommais Danse des Corbeaux, et ma sœur Envol des Chouettes, en hommage à son pelage brun moucheté. Nous ressemblions fortement à notre père, un vieux matou se faisant appeler Hurlement des Branches. De ce que je sais, il disait à ma mère qu'il était originaire de ces fameuses colonies. Ils passaient tout deux de nombreuses heures en haut des montagnes où nous vivions, elle en l'écoutant et lui en soufflant ses péripéties. Je n'y ai jamais cru, car, comme me l'avait appris les Lois Sacrées, un chat n'abandonne jamais sa Colonie car c'est sa seule Patrie. Ce chat était sorti de nulle part, après pris possession du cœur de ma mère et était reparti comme en voleur en lui laissant dans les pattes des rêves qu'elle n'atteindrait jamais, mais surtout, deux chatons en bas-âges. Il ne ressemblait en aucuns points aux chats légendaires, mais je n'ai jamais rien dit à ce propos devant ma mère, par peur de la blesser. Elle y croyait tellement à ses futilités. Elle s'était mise à croire aux Astres, aux ancêtres disparus depuis des millénaires qui veillaient sur nous du haut des Cieux. Ma sœur y a cru aussi, mais pas moi. Avec t-elles le besoin de se cacher dans une croyance ? Ne pouvaient-elles pas vivre en croyant juste et simplement en elles ? Ne partageant pas leur opinion je respecta tout de même leur choix et les accompagnait durant leurs veillées et autres actions respectueuses envers leurs nouveaux dieux.
Nous vivions dans les Montagnes du Nord. C'est ainsi que désigna mon père l'endroit où nous habitions car il disait venir du Sud. Mais pour nous, c'était tout simplement notre Maison, nous n'avions pas besoin de la nommer. Il s'agissait de grands monts neigeux où le vent soufflait doucement. Nos pelages étaient assez épais pour ne jamais ressentir le froid. Ici, l'on chassait les petits mulots et autres campagnols des neiges qui s'abritaient entre les roches. Mais notre principale nourriture restait l'Aigle. Cet oiseau majestueux était un animal qui vivait dans les sommets, et bien que méfiant envers ces bestioles à plumes, j'adorais chasser cet animal, c'était le seul endroit où j'excellais. Je ne suis pas très vif, j'ai un odorat très mal développé et un sens de l'orientation pitoyable. Seuls mes yeux étant habitués aux bourrasques de vents et les bruits des serres grinçant sur la pierre étaient mes alliés. Mais j'ai un atout; ma détente. Mes pattes poussent fortement le sol, et rattrape mon manque de réaction en m'élevant en hauteur. Frissons, à chaque saut, c'est comme si le vent s'arrêtait et passait la boucle au ralenti. Mes épaules roulent sous le pelage en remontant le long de mon ventre pour s'étendre vers l'avant et s'enfoncer dans la chair du piaf qui pousse un cri en essayant de s'échapper dans les airs. Tout en l'attirant contre moi, nous tombons sur le sol, mes crocs plantés le plus rapidement possible dans sa gorge, attendant son agonie. Je remercia la Terre et le Ciel pour cette proie qui n'aura pas vécu en vain, l'attrapa et me retourna. Nous pourrions manger pour deux jours à venir.
***
Elle ne rentrait pas. Je tournais en rond, en grognant, elle ne rentrait pas ! Ma mère me regardait, couchée sur la pierre froide de notre tanière. Il s'agissait d'un coin entre les pierres pouvant laisser passer deux gros chiens côte à côte. D'ici, on pouvait voir l'extérieur; une tempête de neige faisait rage. Et moi, je m'impatientais, voilà deux bonnes heures qu'Envol était partie sans revenir. Ma mère, qui se faisait de plus en plus âgée ne chassait plus que les rongeurs. Un air tranquille, presque endormi était placé sur sa tête. Être aussi détendue alors que sa fille pourrait être coincée sous une couche de glace ne lui effleure même pas l'esprit ? Ses yeux s'ouvrirent, elle avait beau vieillir, ils reflétaient toujours son esprit vif. Elle répondit à ma pensée par magie ou tout simplement en sentant mon regard insistant.
« Les Astres veillent sur elle, elle ne craint rien ... Danse des Corbeaux, ne voudrais-tu pas me masser le ventre ? J'ai un peu mal. » miaula t-elle doucement
En m'approchant -j'avais décidé de laisser encore un peu de temps à ma sœur, cette dernière c'était peut-être tout simplement abritée quand elle avait aperçue la tempête qui arrivait-, je grogna;
« - Ne veux-tu pas tout simplement m'appeler Corbeau ?
- Ce nom représente ton appartenance aux Colonies, sache le prononcer en entier. » elle parut indignée, puis une mine tendre traversa son visage alors qu'elle me lécha l'oreille affectueusement. Je m'appliqua alors à ma tache, pétrissant avec attention le ventre de Runith.
***
Mes pattes s'enfonçaient dans la neige, laissant des empreintes qui se faisaient vite recouvrir, les bourrasques continuaient de souffler, mais de façon douce et régulière. L'on pouvait donc dire que la tempête s'était apaisée et j'étais donc sorti précipitamment chercher ma sœur. Ma mère avait remué les moustaches, amusée, en me répétant encore que les prières envers les Astres étaient plus forts que n'importe danger, et qu'Envol était une grande fille qui avait le droit de flâner parfois. Juste un tout petit peu. Mais que faire quand on y croyait pas à ces histoires d'âmes qui surveillent les vivants ? D'étoiles qui indiquent le chemin et de rêves illuminatifs ? Quand il arrivait quelque chose, on ne pouvait compter que sur soit. Je sauta sur un rocher et leva la truffe, bien que ce fut inutile. Je m'y attendais, et je m'enfonça donc au plus profonds des montagnes, là où je trouve les aigles. Je commençais à vraiment m'inquiéter, et mes tempes battaient le rythme au niveau de mes oreilles. Je hurle le nom de ma sœur dans le vent, ne recevant que des échos étranglés. J'avais espéré entendre une réponse positive de ma sœur mais rien n'indiquait qu'elle était venue par ici. Je continua, grimpa, appela, continua, sauta, traversa, et me perdit tout bonnement, mais cela importait peu. J'étais mort de peur, et pour la première fois de ma j'espéra que les Astres entendraient mes supplications. Où est-elle ? Prenez soin d'elle. Je veux la revoir ! Est-elle saine et sauve ? Dieux si vous m'entendez, aidez moi ! Dieux, faite ça, faite ça pour celle qui vous chérie ! Essoufflé, de m'appuya sur une roche, le vent ici était bien moins fort car je me trouvais dans un ravin entre deux hauteur.
Et puis je l'ai vu. J'ai vu son pelage moucheté de brun .. et de rouge. Je l'ai vu étalé sur le sol, accompagné de cet oiseau du malheur, l'aigle. Ses flancs se soulevaient difficilement. je ne pu m'empêcher de pousser un cri et de me jeter vers elle, tombant, me relevant et dérapa devant ma très chère sœur;
« Envol ! Envol ! .. Envol réponds moi ! » Ma voix grave s'était changée en plainte désespérée. Je releva la tête. Par une telle tempête, elle avait du sauter sur sa proie sans voir où elle retomberait .. Cette idiote ! Il y avait toute la nourriture qu'il fallait à la tanière ! Je la poussa du museau et lécha ses plaies. Elle semblait désharmoniée, et son corps n'était qu'un pantin désarticulé, j'appuya mon front contre son ventre en suppliant quelle me réponde. Les blessures étaient synonymes de mort dans les montagnes. Je gémissais pitoyablement des mots qui devaient ou auraient du former des phrases. Elle frémit puis déglutit. Je releva ma tête et mes yeux pleins d'espoir s'attardèrent sur cette sale blessure au niveau de son front. C'était grave. Pire que grave. Très grave. Ses yeux fragiles s'ouvrirent avec peine sur moi et un soupire lui échappa;
« ... Tu m'as fait att-..endre ..» Elle toussa
« ... Co..Corbac ..»J'ouvris un peu plus les yeux sous la surprise, et cette effort coûta à ma sœur de souffrir encore plus en toussant, crachant son sang rouge, si rouge, trop rouge ! La carcasse du piaf démoniaque-qui reposait à ses côtés- avait du aider à amortir la chute, lui lassant des heures d'agonies dans le froid, mais certainement pas une chance de survie. Je continua à lui parler, à lui murmurer des choses, je la frotta du bout du museau et lécha encore une fois ses plaies suintantes, je n'osais pas regarder les étranges arcs que formaient ses pattes. Elle me faisait tellement le peine? Pourquoi, mais pourquoi bon dieux vous foutez vous de moi ? Cette enfant ici présente, ma sœur, était une des plus dévouées de vos croyantes, sa mère l'est également ! Ne les avez vous donc jamais vu passer des nuits dehors sous la neige pour vous veiller et vous ramener du gibier ? J'avais envie de hurler et de pleurer, de planter mes crocs dans ces vieillards en poussière d'étoiles, de les déchirer et de les insulter. Pourquoi pourquoi pourquoi ? Je gémis et le souffle de ma sœur se faisait plus court, son corps tremblait et elle essaya de remuer.
« ... J-je suis .. heureuse d'a-avoir pu .. te revoir, Co.. Corbac .. » Un sourit tira ses lèvres, je ne savais pas vraiment si il m'était destiné car ses yeux étaient déjà au loin.
« ... T'en f-f-ais pas .. Ils .. Ils v-vont prendre .. soin de m-moi ... »Je serras les dents. Même dans la douleur, dans la souffrance, elle pensait à eux. Même dans la mort. La mort. La mort. La mort. Oh, elle allait mourir ? Je réalisa que ce qui se passa était réel. Il essaya de la retenir, mais déjà, il sentait son corps se refroidir, il la frotta plus activement, ça aurait même pu être douleur si elle sentait encore la douleur- et lui parla fermement.
« ...Ma .. Mamaan.. p-prends ..soin de.. de m-ma ... »Son corps se tendit, tressailli et se reposa, une dernière fois, sur le sol froid imbibé de rouge. Je me laissa glisser en arrière. A ce moment là, je n'ai ni hurlé, ni pleuré. J'ai juste regardé, hébété et puis j'ai essayé de la réveiller, comme un chaton qui ne comprend pas ce que c'est la mort. Pendant des heures j'ai essayé. Et le froid a engourdis mes pattes. Je me sentais vide, j'étais vide. Dépassé, voilà, j'étais dépassé par tout ça. Subitement, la vie venait de changer ? Subitement, alors que tout allait bien. C'est ainsi que vous récompensez vos croyants ? Je ne pu rien faire, mon souffle sembla s'être coincé dans ma gorge.
***
Sa mine réjouie s'effaça pour laisser place à un mal sans fin, et à une incompréhension qui dépassait l'entendement. Elle poussa un cri et s'élança récupérer le cadavre que je portais sur mon dos pour le lécher, le pleurer, le humer, le veiller comme une mère devait le faire. J'ai remercié ma mère de ne rien avoir dit. Je pense que j'aurais explosé si un quel compte mot avait franchi tes lèvres. Lorsque tu m'as vu, ton regard est passé à travers moi. J'étais effrayé de ce que tu allais dire, alors, je t'ai laissé. J'ai jeté avec haine l'aigle sur le tas de viande. Je l'avais ramené, après tout, tu t'étais battu pour ça. Et puis j'ai fui, comme un lâche, j'ai laissé ma mère avec sa douleur, ses gémissements et ses plainte -envers les Astres-. J'ai fui pour aller me réfugier dans le sommeil que je n'ai pas quitté pendant quelques jours. Ta disparition creusait petit à petit en moi. Tu me manquais déjà, et je te revoyais, assise au dessus de la tanière, me sautant sur le dos. Je sombra.
Lorsque j'ouvris les yeux, ma mère, morne, terne, était allongée en face de moi, ma sœur avait disparu et j'imagina qu'elle l'avait enterré. Je n'osa pas demander. Un silence pesant s'installa et ma mère me lança un campagnol après comme ordre de le manger. Je le fis sans répondre. La vie reprit son cours et nous fîmes comme si nous ne t'avions jamais connu. Ma mère devient cette fois ci une vieille chatte qui n'a plus le reflet vif dans les yeux. Non maintenant elle semble juste perdue, régulièrement. Se remet-elle en question ou accuse t-elle Envol de n'avoir pas assez cru ? Les années ont alors passées, toujours dans ce silence quotidien. Je me suis souvent demandé, si j'avais préféré mentir à ma mère, si je lui avais dit que Envol voulait vivre sa vie seule dans les plaines, cela aurait-il été mieux ? La fatigue tournait et ma mère se retira également pour rejoindre les Astres où j'espérais qu'Envol si trouvait. Plus rien ne me retenait ici, dans ces grandes montagnes du nord et je pris donc le chemin du voyage vers des terres inconnues. J'avais alors 4 saisons et quelques lunes.
Et lorsque je marcha dans la neige descendant vers les plateaux et les forêts, je cru sentir, pour la première fois, le froid s'incruster entre mes poils, me glacer la peau et les yeux, m'étouffer, m'enrouler, se retirer et revenir. Je me sentais terriblement
seul.