Tapis dans les hautes herbes, Etoile Mélancolique avançait en silence sous le couvert des arbres. Derrière lui, une longue file de guerriers de l'Ombre mettait ses pas dans les siens. Il n'y avait pas là l'intégralité du Clan de l'Ombre, mais une bonne partie de ses guerriers. Il fallait bien ça pour envahir un Clan ennemi, même aussi faible que celui de la Rivière.

Il fouetta l'air de la queue, pour faire signe à ses guerriers de s'immobiliser. Il avait crut entendre un bruit derrière un arbre. Le brouillard léger piégé dans le Bois des Brumes réduisait de beaucoup le champ de vision, mais c'était après tout pour cela qu'il avait décidé de passer par là. Avec le brouillard, il était plus facile de dissimuler une armée. Cependant, il cachait aussi les possibles patrouilles de la Rivière qui auraient pu les repérer.

Après un temps, il reprit sa marche. Les guerriers avancèrent dans un ordre impeccable, enfin, autant qu'Etoile Mélancolique pouvait en juger. Ils n'avaient pas eu beaucoup de temps pour préparer l'assaut, après la déclaration de guerre qu'il avait proféré à l'assemblée, il ne fallait pas attendre que la Rivière puisse se retourner.

Le matou brun et noir passa à travers un buisson.

Attention !

Le cri s'était élevé de justesse pour que le chef freine des quatre pattes. Il avait faillit tomber dans les eaux bouillonnantes de la rivière. Il ignorait quel chat l'avait prévenu à temps, mais il aurait aimé le remercier.

Le choc passé, Etoile Mélancolique examina les lieux. La rivière s'étendait très loin de chaque côté et aucun guet n'était en vue. Le seul moyen de traverser rapidement aurait été de nager, mais aucun chat de l'Ombre ne savait comment faire excepté ceux qui, originaires de la Rivière, avaient rejoint le Clan après le voyage. Malheureusement, il avait préféré laisser les chats en question au camp, craignant qu'un affrontement avec leur ancien Clan, si tôt après le voyage, leur fasse regretter leur choix.

Tout ce chemin à travers le Bois des Brumes pour se retrouver dans une impasse, Etoile Mélancolique en bouillait de frustration. Il gonfla le poil et chercha sur la lointaine rive opposée les traces du camp de la Rivière. Dire qu'Etoile Fleurie se trouvait juste à côté...

Étoile Fleurie était plutôt contente ce jour-là. Si la menace du Clan de l'Ombre pesait bien évidemment sur son esprit, il y avait assez de bonnes nouvelles dans son Clan pour lui redonner un peu le sourire : les entraînements avançaient bien, les Apprentis punis semblaient avoir compris la leçon, le gibier était abondant et tout le monde s'était à peu près remis du voyage et des terribles pertes que tous avaient subis. Tout le monde sauf Étoile Fleurie... Elle remontait peu à peu la pente mais le chagrin pesait lourd sur ses épaules. Entre Étoile Cendrée, Petit Corbeau et Petit Rossignol, elle était bien servie... Mais au moins, le Clan prospérait.

Alors qu'elle mangeait tranquillement un poisson devant sa tanière, l'odeur de peur et le bruit d'une cavalcade lui fit hérisser les poils. Elle se leva d'un bond, juste à temps pour voir Rivage Lointain débarquer dans le camp, les yeux écarquillés et le pelage hirsute.

- Le Clan de l'Ombre nous envahit ! J'ai vu Etoile Mélancolique et ses Guerriers près de la Rivière plus en amont !

Étoile Fleurie feula : ainsi donc cette crotte de renard avait décidé de lui chercher des ennuis... Il allait voir qu'elle ne se laisserait pas faire ! Elle se précipita sur le Galet tandis que tous les membres du Clan s'étaient déjà réunis, alertés par le cris de Rivage Lointain.

- Chats du Clan de la Rivière ! Le Clan de l'Ombre a lancé une attaque mais nous ne nous laisserons pas faire ! Que tous les Guerriers et Apprentis m'accompagnent. Certains Apprentis connaissent depuis peu l'art du combat, aussi limitez-vous à des adversaires de votre taille et ne prenez aucun risque inutile ! Si vous êtes blessés, n'insistez pas et enfuyez-vous. Nous allons nous séparer en deux groupes pour traverser en aval et en amont et les prendre en tenaille pour les acculer contre la Rivière. Élégance du Cygne, tu diriges le premier groupe avec Rivage Lointain, Cœur Délavé, Poussière d'Etoile et Nuage du Corbeau, vous irez en aval. Je dirigerai le second avec Caresse Hivernale, Écaille d'Argent, Nuage de la Nuit et Nuage de Mésanges, nous irons en amont. Allons-y !

Étoile Fleurie sauta du promontoire et à la tête de groupe, elle se glissa dans la forêt. La colère bouillonnait dans ses veines tandis qu'elle courait vers son ennemi. Il allait regretter d'avoir osé lancer cette attaque... Surtout que les histoires de territoire et de bêtises d'Apprentis n'étaient qu'u prétexte, elle le savait. En réalité, il la détestait seulement d'avoir découvert son secret. Ils traversèrent la Rivière avant de devenir plus silencieux en s'approchant de l'endroit où devait se trouver Etoile Mélancolique. Elle sentit enfin leur odeur avant de pouvoir les apercevoir à travers les broussailles. Elle poussa un cri guerrier avant de se jeter sur les ennemis. De l'autre côté, le groupe d'Élégance du Cygne faisait de même. Elle ne réussit pas à repérer Étoile Mélancolique dans la mêlée, elle se jeta donc sur le premier adversaire venu. Elle lui lacéra le flanc avant de bondir pour éviter une éventuelle riposte et lui mordre sauvagement la queue. Tout autour d'elle, la bataille faisait rage. Elle ne laisserait pas le Clan de l'Ombre détruire les siens.

Il fessait beau ce matin là, le soleil qui chauffait emplissait mon cœur d'une joie sans limite. Je regardait, Étoile Fleurie, notre cheffe, elle semblait assez contente, songeuse certes mais contente. Je me dirigeai vers la tanière des apprentis pour appeler, Nuage de la Nuit. J'allais lancé mon appel quand un bruit me fit dresser l'oreille, une respiration sifflante et une cavalcade affolé. Je me tournait vers l'entrée du camp, je vis débarquer à toute allure un de mes camarades, Rivage Lointain débarqué en plein milieu de la grande place. Je me rapprochait de lui juste à temps pour l'entendre déclarer :
- «  Le Clan de l'Ombre nous envahit ! J'ai vu Étoile Mélancolique et ses Guerriers près de la Rivière plus en amont ! »

Notre cheffe feula avant de gravir à toute vitesse le galet, elle lança son appel, les quelque chats qui n'avaient pas été attiré par les événement sortirent de leur tanière. Étoile Fleurie ne perdit pas son temps avant de déclarer :
- « Chats du Clan de la Rivière ! Le Clan de l'Ombre a lancé une attaque mais nous ne nous laisserons pas faire ! Que tous les Guerriers et Apprentis m'accompagnent. Certains Apprentis connaissent depuis peu l'art du combat, aussi limitez-vous à des adversaires de votre taille et ne prenez aucun risque inutile ! Si vous êtes blessés, n'insistez pas et enfuyez-vous. Nous allons nous séparer en deux groupes pour traverser en aval et en amont et les prendre en tenaille pour les acculer contre la Rivière. Élégance du Cygne, tu diriges le premier groupe avec Rivage Lointain, Cœur Délavé, Poussière d’Étoile et Nuage du Corbeau, vous irez en aval. Je dirigerai le second avec Caresse Hivernale, Écaille d'Argent, Nuage de la Nuit et Nuage de Mésanges, nous irons en amont. Allons-y ! »

Aussitôt son discours finit notre cheffe sauta du promontoire et se dirigea vers son groupe. Je ne perdit pas non plus mon temps et me colla aux coté de notre lieutenant. Une fois notre petit groupe réunit Élégance du Cygne lança le signal du départ, notre groupe se mouva dans le silence bien trop concentré sur la bataille qui s’annonçait. Ma première vrai bataille depuis des lustres, malgré la peur je ne pouvait m’empêcher d'être excité. Nous traversâmes la rivière comme si il n'avait rien.
Le silence se fit plus oppressant et nous distinguâmes bientôt les murmures des guerriers ennemis. De l'autre coté nous vîmes nos camarades se jeter sur les ennemis, quelque secondes plus tard notre lieutenante nous fit signe d'attaquer à notre tour. Je jetais un regard dans la foule espérant distinguer mon apprenti mais je ne le vit pas, tant pis songeai je. Je bondit sur le premier guerrier à ma porté, au moment où je plantait mes griffes dans sa fourrure je reconnu avec effroi le chef du clan ennemi, Étoile Mélancolique.

Etoile Mélancolique feula si fort que deux ou trois pierres durent se fendre dans les montagnes. Il se sentait tellement honteux d'avoir été pris dans une embuscade. Il aurait dut penser au fait qu'il y aurait une rivière à traverser, au fait que personne dans son Clan ne savait nager. Combien de temps et de forces perdraient-ils dans ce combat inutile ?

Il y avait deux vagues d'assaillants, l'une par l'aval l'autre par l'amont. Les félins de l'Ombre étaient pris en tenaille sans avoir eu le temps de respirer. Les chats de la Rivière étaient sortis des brumes pâles de la forêt, le poil dégoulinant et les griffes sorties. Le chef de l'Ombre sentit des petites lames lui traverser l'échine. Un guerrier de la Rivière venait de lui tomber sur le dos... à moins que ce ne soit une femelle, il n'aurait sut le dire avec l'odeur poisseuse de l'eau qui brouillait les odeurs. Dans aucune de ses vies il n'avait pris le temps de différencier les odeurs de Clan avec beaucoup d'attention.

Etoile Mélancolique n'avait bien entendu pas le temps de le regretter. Il devait se débarrasser de son assaillant. Il se cabra aussitôt. A vrai dire, ses muscles avaient réagit avant même qu'il ne s'en rende compte. Le félin ennemi avait tressaillit, sa prise n'était pas aussi forte qu'elle aurait put l'être. Le matou brun entendit avec satisfaction le bruit d'un corps tomber à terre. Il pivota aussitôt, son pelage brun foncé gonflé à l'en faire doubler de volume. Les griffures n'avaient pas été très profondes, il ne saignait pas. Son assaillante, car à bien y regarder il s'agissait d'une femelle, avait dut être distraite. Il lui montra les crocs, oreilles rabattues sur le crâne. Ses deux yeux bleus scintillant au centre de son museau noir avec plus d'éclat que des étoiles dans la nuit. Il allait se jeter sur la chatte lorsqu'une boule de fourrure en furie le propulsa sur le côté. Il venait de se faire heurter par une jeune apprentie. Décidément, les femelles lui en voulaient.

Il était assez tôt lorsqu'un cri aigu déchira l'air calme de la forêt. Il transperça également mes tympans et me réveilla de ma sieste :

- Le Clan de l'Ombre nous envahit ! J'ai vu Etoile Mélancolique et ses Guerriers près de la Rivière plus en amont !

Je me levai en sursaut, la fourrure dressée sur mon échine courbée. Quoi ? c'était impossible ! Une foule d'images revint en boucle dans mon crâne : mon escapade avec Nuage de la Nuit et Corbeau sur le territoire de l'Ombre. Le moment où Etoile Mélancolique nous avait découverts. Notre sauvetage par Poussière d'Etoiles. L'Assemblée. Les reproches envers ma mère de la part du chef du Clan de l'Ombre. Je sifflai entre mes dents, plus paniquée qu'en colère. Le Clan de l'Ombre attaquait la Rivière ? C'était de la faute de notre escapade.

Un mouvement ample attira mon attention : le Clan s'était dirigé vers le Galet, au sommet duquel ma mère était déjà juchée. Je m'empressai de rejoindre la foule et me collai par réflexe contre un guerrier, comme lorsque j'étais petite. Je pris conscience de ma position et reculai, gênée.

- Chats du Clan de la Rivière ! Le Clan de l'Ombre a lancé une attaque mais nous ne nous laisserons pas faire ! Que tous les Guerriers et Apprentis m'accompagnent. Certains Apprentis connaissent depuis peu l'art du combat, aussi limitez-vous à des adversaires de votre taille et ne prenez aucun risque inutile ! Si vous êtes blessés, n'insistez pas et enfuyez-vous. Nous allons nous séparer en deux groupes pour traverser en aval et en amont et les prendre en tenaille pour les acculer contre la Rivière. Élégance du Cygne, tu diriges le premier groupe avec Rivage Lointain, Cœur Délavé, Poussière d'Etoile et Nuage du Corbeau, vous irez en aval. Je dirigerai le second avec Caresse Hivernale, Écaille d'Argent, Nuage de la Nuit et Nuage de Mésanges, nous irons en amont. Allons-y !

Mon coeur bondit dans ma poitrine : en plus d'être un peu responsable de ce conflit, j'y étais directement mêlée. J'allais devoir me battre. La peur s'insinua en moi, froide, vile, terrible : il pourrait y avoir des morts... mais le temps n'était pas aux spéculations ; déjà, deux groupes de chats se formaient et celui dirigé par ma mère partait déjà. Je bondis auprès d'eux et lançai un regard effaré à Nuage de la Nuit et Nuage du Corbeau qui s'éloignait avec son groupe : était-ce un hasard si Etoile Fleurie nous avait choisis ? Etait-ce pour nous punir ? 

La forêt nous engloutit. Pour la première fois, elle me parut aussi menaçante qu'un renard : elle pouvait renfermer des guerriers du Clan de l'Ombre, ou, pire, Etoile Mélancolique en personne, qui sauterait à la gorge de ma mère à la première occasion. Lorsque nous arrivâmes au lieu où Rivage Lointain avait repéré les guerriers ennemis, mon sang acheva de se glacer dans mes veines : le conflit avait déjà commencé. Je n'entendais pas nos bourreaux, ni ne les voyais, et cela me terrifiait encore plus.

Un nouveau cri, peu semblable à celui de Rivage Lointain, retentit dans le silence de la brume. Ma mère fonça vers les ennemis à toute vitesse, sa longue queue raide comme un bâton. Comme un seul félin, nous nous précipitâmes en avant. J'aperçus enfin l'adversaire, mais trop tard pour en choisir un à combattre : je me trouvai seule, au coeur d'une mêlée où chacun luttait pour défendre l'intérêt de son Clan.

Les miaulements de douleur, les feulements, les cris suraigus qui laissaient transparaître la haine, au lieu de m'effrayer, me poussèrent à agir : c'étaient les miens qui souffraient pour moi et les deux autres apprentis fugueurs. Je devais me battre. Je repérai Poussière d'Etoiles, agrippée à un chat brun foncé. En m'approchant alors qu'il la repoussait au loin, je le reconnus : Etoile Mélancolique. Un grondement sourd, adulte, monta du tréfonds de mon ventre. Je n'eus pas besoin de penser pour que mes pattes s'actionnent et se ruent sur le chef du Clan de l'Ombre. J'étais en train de penser que c'était une mauvaise idée de l'attaquer, qu'il le fallait, que c'était une mauvaise idée mais qu'il le fallait.

Mes griffes se plantèrent dans sa fourrure épaisse, et mes pattes animées d'une force colérique poussèrent le corps détesté en avant. Alors que je retombai sur mes pattes, je me fis la réflexion que le meneur ennemi devait vraiment haïr ma mère pour oser envahir son territoire, si tôt après notre arrivée ici. Cette idée propulsa mes griffes hors de leurs fourreaux et je réussis à érafler le visage de l'ennemi malgré sa taille bien supérieure à la mienne.

- Va-t'en ! feulai-je, désespérée, en le regardant droit dans les yeux. Retourne chez toi et laisse les Clans vivre leur vie en paix ! Laisse ma mère tranquille !

Qu'allait-il me répondre ? pensai-je sans cesser de le fixer froidement. Que c'était le destin des Clans, de s'affronter, encore et encore ? Je ne croyais pas au destin, en dépit de mon jeune âge. Que nous le méritions ? Lui-même infligeait des souffrances inutiles à son Clan. Croyait-il qu'une poignée de guerriers suffirait à anéantir le Clan de la Rivière ?

Oui, décidément, c'était une mauvaise idée.

Etoile Mélancolique hérissa le poil et planta les pattes bien droites entre les herbes. Se faire ainsi feuler dessus par une apprentie alors qu'il était chef. Le Clan de la Rivière était vraiment un Clan de dégénérés. Il plongea son regard glacé dans les yeux bleus de la novice, sans ciller. Il sentait son hésitation à l'attaquer, elle n'avait pas complètement oubliée qui il était. Le matou brun fouetta l'air de la queue, fixant tour à tour l'apprentie et la guerrière tigrée. Deux contre un ? Faisable.

Il bondit en direction de l'apprentie, sans sortir les griffes ni les crocs, il l'enserra de ses pattes noires et la fit voltiger pour la lancer sur la guerrière. Sans attendre que les deux chattes se ressaisissent, le matou leur tomba dessus, pesant de tout son poids sur le petit corps de la novice, l'obligeant à rester plaquée contre la guerrière. Maintenant, il pourrait passer aux choses sérieuses. Il planta les crocs à droite, laboura de la fourrure à gauche, chacun de ses coups traçant dans ses ennemis de larges balafres pourpres.

Les deux chattes commencèrent à se débattre, Etoile Mélancolique fini par être repoussé par les quatre paires de pattes. Il bondit hors de portée, évitant un mauvais coup de griffe. Puis fonça sur les deux chattes, crocs en avant. Ses mâchoires claquèrent dans le vide deux fois avant de se refermer sur la peau tendre d'un jeune cou. Il avait attrapé l'apprentie. Le matou la tira à terre et secoua sa prise de toutes ses forces. Il s'arrêta soudain. Il faisait partie du Clan de l'Ombre maintenant, il fallait respecter le code du guerrier, ne pas tuer.

Le matou brun allait desserrer l'étau autour de sa victime lorsqu'une violente tornade le percuta de plein fouet, le faisant rouler-bouler sur deux longueurs de queue. La tête du félin heurta un rocher, faisant sauter l'une de ses dents. Le félin se redressa, crachant bave, poussière et sang. Il y avait dans l'air une odeur de fougère. Le guerrier sourit en son fort intérieur. Etoile Fleurie, voilà qui deviendrait intéressant.

Etoile Fleurie distribuait coups de crocs et griffes de tous côtés, et si tous ses assauts n'atteignaient pas forcément leur cible, leur nombre et la colère qui l'habitaient faisaient reculer certains Guerriers pas assez sûrs d'eux. Elle tentait de trouver Etoile Mélancolique mais les ennemis se jetaient sur elle, l'obligeant à les repousser et la ralentissant. La femelle évita de peu des griffes acérées, bondit, fit volte-face et plongea ses crocs dans la queue d'un jeune mâle en serrant de toutes ses forces. Lorsqu'elle fut sûre qu'il allait s'enfuir, elle le relâcha et le regarda filer entre les buissons.

C'est alors qu'elle repéra enfin celui qu'elle cherchait et ce qu'elle vit la figea d'effroi : le matou tenait Nuages de Mésanges entre ses crocs et la secouait comme un fou. S'il continuait, il allait la tuer ! Folle de rage, la femelle se précipita vers eux et percuta le Chef de plein fouet. Il le vit avec satisfaction heurter un rocher et une dent voler. Lorsqu'il se redressa, il cracha du sang et la fixa avec l'air d'être prêt à en découdre, tout comme Etoile Fleurie qui sentait la rage lui broyer le ventre et hurler dans son esprit. Un, il attaquait son Clan au moindre prétexte, alors que la véritable raison, elle la connaissait très bien. Deux, il s'en prenait à ses proches, volontairement ou non, elle n'en savait rien, mais il allait payer.

- Touche encore une fois à un seul poil de ma fille et je te jure que tu vas le regretter, feula-t-elle avant de continuer moins fort. Arrête de te servir de la première excuse qui te tombe dessus pour passer ta colère sur moi ! Ce n'est pas ma faute si j'ai découvert ton foutu secret, tu peux hurler contre le Clan des Etoiles si tu veux mais certainement pas te venger sur les miens.

Etoile Fleurie savait que ces mots n'empêcheraient pas le matou de continuer à la haïr et à lui chercher des puces mais elle tenait quand même à les lui dire. Consciente qu'il n'allait pas rester en place très longtemps, elle gronda et se jeta sur lui, toutes griffes dehors. Elle lui lacéra le flanc, bondit de côté, roula avant de se redresser en lui décochant ses pattes arrière dans le flanc. Elle repartit aussitôt à l'assaut et voulut mordre une oreille mais un coup de griffe bien ajusté traça une ligne de feu sur son poitrail. Elle recula, se mettant momentanément hors de portée de son adversaire et se mit en garde, ne quittant pas son ennemi des yeux. La bataille faisait toujours rage autour d'elle même s'il lui semblait que les assaillants étaient moins nombreux, de quel côté elle n'aurait su dire, mais pour l'instant, seul le fait de vaincre Etoile Mélancolique comptait.

Etoile Mélancolique tressaillit lorsque la chef de la Rivière fit allusion à son secret. Il ne manquerait plus qu'elle le révèle au beau milieu du combat. Il n'avait pas pensé à cela, les autres étaient plongés dans la bataille, mais combien entendraient les paroles de la chatte malgré le chaos ?

Etoile Fleurie ne lui laissa pas le temps de s'interroger d'avantage. Elle s'élança vers lui et effectua un enchaînement incroyable, il fallait bien l'admettre. En moins de quelques secondes, le matou brun se retrouva avec une nouvelle balafre sur le flanc et des coups de pattes dans le ventre. A peine cela fait, elle revenait à l'assaut. Cette fois, Etoile Mélancolique réagit assez vite pour lui entailler le poitrail, faisant reculer la chatte.

Le matou brun feula, arquant le dos, et sans autre forme d'avertissement bondit droit sur Etoile Fleurie. Il l'écrasa de sa masse, la plaquant sur le ventre.  Les assauts frontaux étaient ses préférés, il était tout aussi capable de ruse, mais cela était bien plus fatiguant. Il se sentait trop vieux pour ce genre de choses, désormais, plus un combat était expédié, mieux cela lui allait.

Etoile Mélancolique sentit la masse d'Etoile Fleurie s’aplatir dans la poussière. Avec un peu de chance sa blessure au poitrail s'infecterait. Il lui attrapa la nuque et y planta les crocs, assez fort pour la faire miauler de douleur, mais pas assez pour lui briser la nuque. Il aurait très bien pu la tuer, mais il préféra s'amuser un peu, lui faire regretter d'avoir proféré des menaces. Il lui laboura les flancs avec joie jusqu'à ce qu'il se rende compte de sa position un peu... étrange. Il lâcha aussitôt et s'écarta de trois longueurs de queue en crachant des poils brun-doré. Pourvu que personne ne les ait vu ainsi...

Etoile Fleurie n'eut pas le temps de réfléchir, son adversaire revenait déjà à l'assaut. Il n'y eut aucune ruse, aucun stratagème pour la prendre par surprise, le matou bondit et atterrit sur le dos de la femelle qu'il écrasa de tout son poids. Le souffle coupé, elle tenta de se redresser, de se retourner, mais son adversaire était trop lourd. Elle se débattait en feulant, désespérant de le faire tomber lorsqu'il plongea ses crocs dans sa nuque. Fort heureusement, il ne lui brisa pas la nuque mais la douleur la fit hurler. Le matou gardait sa position, empêchant Etoile Fleurie de faire le moindre mouvement et la faisant souffrir le martyre. C'est alors qu'elle réalisa ce que les autres devaient voir : une femelle sur le ventre et un matou au-dessus d'elle la mordant à la peau du cou.

Si la constatation agit comme un bain glacé sur son esprit, sa peau rougit brusquement sous sa fourrure. La honte la brûlait, elle voulait juste hurler contre cette crotte de renard, crier qu'il la laisse partir, qu'il cesse tout de suite cette humiliation. Dans sa tête, les mêmes mots tournaient en boucle : "Lâche-moi ! Mais lâche-moi ! Tu ne te rends pas compte de ce que tu fais cervelle de souris ? LAAAAACHE-MOI !" Mais la femelle était incapable de parler, effrayée à l'idée d'attirer l'attention et que quelqu'un les voit. Sans qu'elle sache pourquoi, elle revoyait défiler devant ses yeux chaque rencontre avec son ennemi. Une rage terrible l'envahissait, derrière laquelle n'arrivait pas à se cacher un trouble profond qui commença à lui dévorer l'esprit. Il se mêla à sa colère, la gonfla, l'amplifia, jusqu'à ce que chaque cellule de son être en soit emplie, jusqu'à ce la Chef ne soit plus que haine pure.

Et enfin, Etoile Mélancolique réalisa à son tour. Le changement fut immédiat : la femelle sentit presque elle-même la honte qui envahit brusquement le matou, ses crocs se desserrèrent aussitôt et il bondit en arrière, catastrophé parce qu'il venait de faire. Etoile Fleurie se releva et se tourna vers lui pour découvrir un corps avachi et un regard totalement perdu. Son regard... Son regard fixé sur elle, son regard qui attisait sa haine, son regard qu'elle voulait faire disparaître à jamais... Sa colère rugit en elle et, terrible bête féroce, la lança en avant vers celui qui venait de l'humilier. Un moment, l'attaque se passa comme au ralenti : elle vit le visage de sa proie se rapprocher, doucement, tout doucement, sa cible se préciser, ces orbites fragiles... Puis elle lança sa patte, les griffes sorties et cette fois-ci, tout se déroula trop rapidement. La matou voulut esquiver, commença se redressa brusquement, les griffes arrivèrent trop bas, ratèrent leur cible... ouvrirent une plaie béante dans sa gorge.

Le sang aspergea la belle fourrure brun-doré de la chatte qui vit Etoile Mélancolique s'écrouler. Elle ne comprit pas tout d'abord. Elle resta immobile, observant le corps de son ennemi qui déversait un flot de liquide pourpre à ses pattes. Incapable de réaliser, elle fixait les yeux du matou agonisant, ces yeux qu'elle avait voulu crevés et qui étaient intacts, ces yeux qui auraient dû être les seuls touchés. Dans la tête d'Etoile Fleurie, c'était le vide total, les images s'imprimaient sur sa rétine mais son cerveau refusait de comprendre, d'admettre ce qui se passait. Ce n'est que lorsque le corps du Chef ennemi s'immobilisa qu'elle comprit. Elle poussa un cri, écarquilla les yeux, horrifiée par ce qu'elle venait de faire. Elle s'écroula près de celui auquel elle avait ôté une vie, le remords et le désespoir la tiraillant. Elle ne voulait pas faire ça ! Elle voulait seulement le blesser, pas le tuer ! Et si c'était sa dernière vie ? S'il ne revenait pas ? Il avait été ignoble avec elle mais ce n'était pas une raison, elle n'avait pas le droit de tuer ! Pourquoi sa plaie ne se refermait pas ? Le Clan des Etoiles devait le guérir pourtant ! Se pouvait-il que la blessure soit trop grave ? Etoile Fleurie poussa un gémissement, ferma les yeux et murmura :

- Pardonne-moi, je ne voulais pas, je te jure, je ne voulais pas...

[PRÉCISION IMPORTANTE : vous pouvez avoir été témoins de la scène étrange, mais bon logiquement vous vous battez vous êtes un peu occupés, donc soyez logiques, tout le monde ne peut pas avoir vu la scène. Regardez les post au-dessus. Idem pour la mort de Mélan.]

Au fur et à mesure que les secondes passait, Etoile Mélancolique se sentait de plus en plus mal. Un mélange de honte et de remords. Il reculait sans s'en rendre compte, cherchait à fuir. Il se maudit aussitôt pour cela. Que lui arrivait-il ? Il n'avait rien fait, il avait juste attaqué. Ce n'était pas la première fois que deux adversaires se trouvaient dans une position étrange, cela lui était déjà arrivé, certaines bien pires, alors pourquoi avait-il les nerfs à vif, la peau brûlante de honte ?

Etoile Fleuris fonça sur lui, il n'eut même pas le temps d'observer toute sa haine. Il ne vit que la Guerrière au pelage couleur de soleil foncer droit sur lui et ses griffes plus blanches que la lune filer vers ses yeux. Le matou sursauta, se cabra sur ses pattes arrières. Mauvais réflexe. Les poignards blancs s'enfoncèrent dans sa gorge et y tranchèrent un large sillon dans un flux de sang. Un voile gris tomba sur le champ de vision du matou qui se sentit à peine partir à la renverse. Il heurta le sol qui lui parut bien tendre comparé à tout à l'heure. Très tendre... Le félin s'y étala de toute sa longueur comme dans une litière de poussière.

Il ne chercha pas à lutter pour reprendre son souffle, l'air passait encore dans ses poumons, il prenait juste un chemin plus court et sifflant. Les pattes étendues, le corps raidit, Etoile Mélancolique s'étonna de la douceur de cette mort.

Il ouvrit les yeux sur une obscure forêt parcourue de silhouettes blanches, des fantômes de brume. En y regardant mieux, Etoile Mélancolique vit que ces ombres avaient la forme de chats. Oui, chaque silhouette était un chat qui combattait sur les rives de la rivière dans le Bois des Brumes. C'était une vision étrange, le matou brun ne se souvenait pas d'avoir jamais vu cela. Il laissa son esprit divaguer entre les arbres et trouva une forme plus noire que l'obscurité, un gouffre où la lumière elle-même mourrait. Il reconnut son corps volé. Sur lui était penché le fantôme blanc d'Etoile Fleurie. Etoile Mélancolique frémit, cela lui rappelait tant son enfance au Clan du Calcaire. Tant de colère remonta en lui. Il voulut fondre sur Etoile Fleurie pour anéantir son esprit, la punir de lui avoir montrer cela, mais lorsqu'il frôla la silhouette blanche, ce fut lui qui crut avoir été anéantit.

Il ressentit une intense émotion, brûlante, privée de toute barrière. Colère, peur, tristesse... l'émotion de qui ? La sienne ou celle d'Etoile Fleurie. Tout était mêlé. Tout à coup, il ne voulait plus mourir. Il voulait vivre, quitter cette forêt, revoir les montagnes. Une vive douleur le prit à la gorge, les ombres disparurent, les couleurs revinrent et il prit une grande bouffée d'air.

Sa gorge fraîchement cicatrisée lui faisait mal. Il se releva avec difficulté, comme un vieil Ancien. Il fixa Etoile Fleurie, ou plutôt son fantôme blanc qu'il lui semblait voir encore. Le regard épuisé. Il rassembla ses dernières forces pour miauler d'une voix rauque, mais encore bien audible :

— Clan de l'Ombre... replis.

Il fit quelques pas vers les territoires de son Clan, il sentait bien qu'il ne pourrait jamais retourner au camp sans soutien, mais il voulait quitter seul le lieu du combat, sans escorte ni menace, en silence.

Alors qu'Étoile Fleurie était prostrée sur le corps inerte de son ennemi, elle sentit tout à coup un souffle glacé sur son pelage et une douleur terrible qui lui transperça le crâne. Elle se crispa sous l'effet de cette souffrance vive et inattendue tandis au même moment, le corps d'Étoile Mélancolique remuait. La femelle fit un bon en arrière, regarda avec stupéfaction celui qu'elle avait cru définitivement mort se relever. Il ne fit aucune tentative d'attaque, trop faible pour continuer la bataille. D'une voix rauque, il demanda le retrait de ses troupes et s'éloigna parmi les arbres, suivi de ses Guerriers. Alors que les membres du Clan de la Rivière se mettaient à miauler de joie, ravis de leur victoire, la Chef restait immobile, fixant l'endroit où le matou brun avait disparu. L'esprit confus, elle ne parvenait pas à réfléchir, à réaliser les événements. La peur terrible qui l'avait saisie à la vue du corps mort de son ennemi l'obsédait, elle ne ne comprenait plus rien à ce qui s'était passé. Les cris des siens en liesse finirent par la rattraper et elle se reprit rapidement pour relever la tête et miauler aussi fort qu'elle le put :

- Le Clan de la Rivière a gagné !

Les vivats reprirent de plus belle, comme pour narguer les Guerriers de l'Ombre qui s'enfuyaient dans les bois. Puis réunissant les siens, Étoile Fleurie fit le bilan des blessés, demanda à certains de soutenir les plus atteints et ramena son Clan au camp. Heureusement, depuis que leur Guérisseur était décédé, ceux des autres Clans leur venaient en aide, n'étant du fait de leur statut pas concernés par les rivalités claniques. Après avoir envoyé un messager au Clan du Vent, vérifié que tout se passait bien, félicité ceux qui s'étaient battus, en particulier les Apprentis pour qui c'était la première bataille, après s'être assurée que ses petits allaient bien (c'était en fait la première chose qu'elle avait faite, avouons-le), elle put enfin rejoindre sa tanière. Là, elle se plongea dans le souvenir de son combat contre le Chef de l'Ombre, essayant de comprendre sa réaction, jusqu'à ce que le sommeil finisse par la rattraper.