La nuit semblait se refermer autour de lui comme un étau, et les odeurs surchargeaient sa truffe sensible. La brume, ou plutôt le brouillard, était si dense qu'il n'y voyait pas plus loin qu'une longueur de queue, et les arbres dessinaient des silhouettes effrayantes à chaque pas. Soleil d'Argent était dans une bien mauvaise posture. Pourtant, la journée avait plutôt bien commencé. Impatients de découvrir leur territoire, la plupart des Guerriers s'étaient dispersés. En fin d'après-midi, alors que le matou argenté revenait de la chasse, Cadratin Mélancolique avait ordonné une patrouille de reconnaissance en recherche d'un point d'eau. Il en avait confié la direction à Soleil d'Argent, qui était parvenu à convaincre deux autres félins, Patte Rouge et Œil d'Or, de l'accompagner.
Il ne regrettait pas, à présent, d'avoir insisté auprès d'eux. Le Bois semblait s'être resserré sur eux, et les trois chats étaient bel et bien perdus. Soleil d'Argent tenta de retrouver la trace de leur passage entre les fourrés... Sans succès. Mais pourquoi donc s'étaient ils aventurés aussi loin ? Sunny pesta intérieurement contre sa propre bêtise. Ne sachant pas ou aller, il s'était contenté d'aller tout droit, comme un chaton innocent. Il savait pertinemment que le Clan avait encore une mauvaise connaissance des territoires, mais s'était toutefois aventuré dans Le Bois Sombre – qui portait bien son nom ! L'humidité omniprésente lui indiquait bien évidemment la présence d'un point d'eau, mais il n'arrivait pas à le trouver. Et puis, à cette heure avancée, ce n'était plus son principal souci.
Soleil d'Argent jeta un regard aux deux chats blottis l'un contre l'autre. Il ne pouvait pas se permettre de les laisser tomber. Œil d'Or, guerrière de 37 lunes, semblaient terrifiée, et Patte Rouge n'était pas mieux. De plus, c'était à lui que Cadratin avait confié la patrouille. Il devait les en sortir. Le Guerrier jeta un coup d’œil autour de lui, tentant vainement de se repérer... N'avait-il pas déjà vu cet arbre tordu ? Signifiant d'un mouvement de queue aux deux autres de le suivre, il se dirigea vers l'ombre qu'il apercevait à travers les nuées rendues presque noires par la nuit. Arrivé au pied de l'immense chêne aux branches tortueuses, Sunny renifla consciencieusement les racines. Il lui semblait...
- Fichue brume, grommela-t-il entre ses dents.
Elle était si opaque qu'elle brouillait son odorat. Au bout de quelques instant de concentration, il parvint toutefois à repérer l'odeur ténue, mais bien présente, de Patte Rouge, qui s'était arrêté pour marquer le territoire bien plus tôt. L'odeur était presque masquée par celle plus forte du bois mouillé et des feuilles mortes, mais il était enfin parvenu à la retrouver ! Avec un soupir de soulagement, Soleil d'Argent colla sa truffe au sol et tenta de retrouver leur piste. Il se sentait particulièrement stupide dans cette position, alors qu'habituellement il lui suffisait d'une inspiration... Prenant son courage à deux pattes, il suivit ce qu'il pensait être la trace de leur passage.
- Ne me quittez pas d'une patte ! lança-t-il.
Avec peine, le fier matou parvint à poursuivre sa route. Il tentait de ne pas se laisser gagner par la peur, ne pensant qu'à la sécurité des deux félins qui marchaient bravement à ses côtés. Levant un instant les yeux, il s'aperçut que la lumière de la Lune ne traversait pas l'épais brouillard, et un bref instant, Sunny eut l'impression de n'être qu'un Petit apeuré. La voix de Patte Rouge, lui demandant si tout allait bien, lui fit reprendre conscience de son devoir, et il continua sa route le plus calmement possible. Une exclamation étouffée lui fit soudain relever la tête... La brume semblait être moins opaque, et il put bientôt mieux respirer. Fou de joie, il se précipita vers la faible, très faible éclaircie qui semblait se dessiner... Et enfin, il fut à l'air libre. Respirant à plein poumons, Soleil d'Argent leva les yeux vers la Lune qui luisait doucement.
Il avait réussi à les sortir du pétrin dans lequel ils étaient.