La nuit avait été longue. Elégance du Cygne était restée couchée près du corps d’Etoile Cendrée. Le sol sableux était confortable mais le vent qui hurlait tirait toutes les heures la chatte de ses rêveries. Enfin ses rêveries… C’était un bien grand mot pour définir les formes indéfinissables qui avaient dansé dans sa tête. Des chats, des arbres, des chiens… Elle ne savait même pas qu’ils étaient. Elle savait juste que certaines silhouettes s’approchaient d’elle, et essayaient de lui parler. Les mots étaient incompréhensibles, et parmi le bourdonnement sourd, des cris aigus se démarquaient. La chatte pensait que leur long périple était la raison de ces pensées. Les cris devaient être ceux des chats qu’ils avaient perdu au cours de leur voyage. Etoile Cendrée faisait partie de ceux-là. La chef n’avait pas survécu. Le Clan pleurait sa perte, mais il avait su rester fort et continuait sa sinistre marche.

Le soleil pointait son nez à l’horizon. Les premiers rayons passèrent à travers les branches dénudées et réveillèrent la jeune lieutenante. D’autres chats étaient restés au chevet de l’ancienne chef. Elégance du Cygne ne savait pas trop quoi faire à présent. Pétale de Fleur était partie pour récupérer ses neufs vies et avait laissé le Clan aux pattes de la lieutenante et aux vétérans. Fallait-il qu’y enterre le corps d’Etoile Cendrée ? Mais Pétale de Fleur ne l’avait pas veillé, peut-être voudrait-elle le faire à son retour… D’un mouvement brusque de la queue, la chatte effaça ses questions. Elle ordonna à deux guerriers de mettre le fragile corps dans la nouvelle tanière de leur future chef. Pétale de Fleur reviendrait surement rapidement.
Une fois la tache des deux guerriers accomplis, la lieutenante forma deux patrouilles. Le tas de gibier était vide et les estomacs criaient famine. Chaque chat pourrait aussi découvrir leur nouveau territoire et en voir ses limites. Les autres Clans avaient dû faire comme eux, s’octroyer une partie de la forêt pour y vivre. Les guerriers et apprentis qui restaient au camp devaient continuer la construction des tanières. Celle des guerriers prenait l’eau et celle des apprentis laissait passer quasiment toute la lumière. Impossible pour eux de dormir, même la nuit : la lune avec sa clarté était éblouissante. Le guérisseur désirait s’occuper seul de la sienne, et Elégance du Cygne n’y avait vu aucun inconvénient. Cela l’arrangeait même, elle n’aurait pas à surveiller son avancement. La pouponnière n’avait quasiment pas besoin d’amélioration et les reines se débrouillaient magnifiquement bien, sous le regard admiratif de leurs chatons. Il ne restait que la tanière des anciens. Ils avaient trouvé abri dans un saule pleureur. Entre ses racines, des petites tanières s’étaient formés, permettant à n’importe quel chat d’y être à l’abri. Cependant, la pluie pouvait pénétrer elle aussi à l’intérieur, et il fallait trouver un moyen de s’en protéger. Elégance du Cygne décida d’y faire un tour pour trouver une idée.
Les anciens profitaient des rayons de soleil devant leur nouvelle tanière. Deux apprentis leur faisaient leur toilette avec douceur en écoutant les récits merveilleux de vieux chats. Elégance se sentit piquer à vif. Elle n’avait jamais eu la chance de s’extasier en écoutant leurs histoires. Elle chassa ses souvenirs et se dirigea vers une chatte grise. Il s’agissait de Brume du Matin.

« Bonjour Brume du Matin, je suis venue voir comment se passer votre installation. J’ai aussi entendu dire qu’il fallait isoler votre tanière de la pluie mais aucun guerrier n’a trouvé d’idée. Du coup, j’ai pensé que mon intelligence pouvait nous être utile ! »

Elégance du Cygne n’attendit même pas que l’ancienne lui réponde, elle se dirigeait déjà vers les profondes racines de l’arbre.